Le coup de maître de François Bayrou est d'avoir préempté la critique des médias -et des sondages- qui prédeterminent le choix démocratique de manière fallacieuse. Cette posture était gagnante en 95, en 2002, et au referendum 2005. Ce qui conduit par exemple Marianne à présenter Bayrou comme l'anti sarko. Le problème est que c'est une supercherie, et qu'elle pourrait être celle de trop.
Premier cheval de bataille, Bayrou dénonce le système partisan, qui éloignerait les politiques des solutions pragmatiques et de bon sens. Le hiatus est dans la conclusion: Il martèle sur tous les tons que la priorité, c'est le remodelage -improbable on va le voir- de la géographie partisane. Mais où est la prise sur le réel? Comment prétendre qu'on est dans l'action politique quand on commence par plonger dans les combinaisons politiciennes? Et quelle révolution y aurait-il à faire du Borloo-DSK, si tant est qu'ils soient compatibles, quand l'un des deux est déjà à l'oeuvre?
Le ralliement de spartacus est aussi symptomatique du quiproquo: des hauts fonctionnaires, ce qui se fait de plus planqué, technocratique, déconnecté de la réalité, et qui auraient probablement voté Jospin d'un seul homme, en appellent à Bayrou. Mais voilà, ils représentent exactement ce qui a été sanctionné en 2002 et 2005. Et on fait croire que Bayrou va casser le système! Bayrou récupère le soutien de gens à qui la candidature de Ségolène Royal inspire alternativement l'horreur et le mépris, pour une raison non-avouée: Elle va chercher les voix des couches populaires qu'eux ont snobé et snobent encore. Un électorat populaire qui a bien raison de se méfier de ce mépris.
Les dernières lignes de cet "appel spartacus" (le mal nommé) dévoilent son ressort principal: "le véritable vote utile pour faire barrage à Nicolas Sarkozy, c'est Bayrou." Encore faudrait-il qu'il le dise clairement. Bayrou prétend à l'éthique de gouvernance (ne pas trop promettre et dire comment on finance), très bien dira-t-on, même si le discours de la dette ne fait pas une politique. Mais où est l'éthique politique: dire comment on obtient ce résultat prétendu de faire barrage à sarkozy? L'union trompeuse qu'il fait miroiter est toute théorique, si on considère qu'il faudra attendre les législatives pour que d'éventuels élus de la "droite modérée" se libèrent de leur dépendance à l'UMP, si tant est que celle-ci n'obtienne pas la majorité. Auquel cas beau résultat: une cohabitation Bayrou-Sarkozy. Nous assisterions à l'affligeant spectacle d'un président désarmé dès l'origine, subissant les oukases et le mépris ostentatoire de Sarkozy, c'est à dire bis repetita. Une arnaque digne de 95, et on sait ce que ça coute en termes de discrédit de la politique.
Bref, on laisse croire à ceux qui souhaitent prolonger la vague de 2005 que le vote contre la bulle, c'est le vote bayrou, alors qu'en réalité c'est le vote pour. Toute la pensée unique vote pour lui, que ce soit les journalistes, les blogueurs bobos, les hauts fonctionnaires ou la bourgeoisie de province. Sa politique est une politique de rigueur anachronique que seuls les déclinistes les plus myopes défendent, ceux pour qui la dette* fait office de vision de la France, et font du malthusianisme budgétaire un principe. Sa relation à Bruxelles est une osmose qui ne permet aucun prolongement au referendum. Bayrou est en réalité, de tous les candidats, le moins apte à la prise de risque politique sur les questions de fond. Ce que l'Europe attend, c'est un renouvellement d'autant plus quand il est incarné par une femme. Elle n'attend pas un stéréotype franchouillard à la Bourvil affublé de son inévitable De Funès énérvé et antipathique.
Il y a dans ce centrisme quelquechose que l'on perçoit dans une certaine bloggitude: les gens qui se croient et qui s'affichent raisonnables votent pour celui qui arbore l'étiquette "raisonnable", sans avoir vérifié les ingrédients ni la date de péremption. Un peu comme les yaourts au bifidus et autres préparations vendues avec force allégations santé: c'est insipide mais on est persuadé que c'est bon. Le petit plus avec Bayrou, c'est que cette extrême pondération ne permet habituellement pas de se distinguer, alors que lui offre des habits d'anticonformiste à bon compte.
"Tout ce qui est excessif est insignifiant", voilà leur mantra, une quasi-antithèse aussi fréquente que trompeuse, qui porte sa propre contradiction: une phrase qui commence par "tout" peut difficilement prétendre à la modération, et l'excès n'empêche ni le sens ni la consistance. C'est donc bien une phrase utile pour caractériser l'extrême-centre. C'est la phrase de ceux qui évitent de prendre parti ou de se donner la peine de contraster la prose. Ce confortable créneau de la psychomollesse, cela conduit certains à dauber, par exemple, le style et l'emphase de la tribune de Régis Debray, c'est un tort.
Dernier point: il est de bon ton de minimiser le pen chez les bayrouistes, mais il y a tout de même un peu de légèreté à prétendre qu'avec une barre fixée par les niveaux de Bayrou et Royal, autour de 20%, il est impossible pour Lepen d'arriver au second tour...
-
PS: la revue du programme officieux de sarkozy, évoquée dans un article précédent, vient. C'est le Marianne de cette semaine, dont c'était le sujet principal, qui m'a simplement un peu coupé dans mon élan en même temps que l'herbe sous le pied.
*: On l'a déjà dit, même du point de vue de la dette, c'est la gauche qui est la plus crédible