La scène en question est celle-ci, qui a eu lieu le 21 mars:
* Chirac, dans une allocution préenregistrée,
* apporte son soutien à sarkozy
* et annonce en même temps sa démission du ministère de l'intérieur
je découpe les 3 éléments car chacun à son importance. Les deux hommes avaient fixé les termes de cette séquence deux jours auparavant.
Est-ce que ça ne ressemble pas à une remise de rançon, un échange de prisonnier pendant la guerre froide, une libération d'otage?
Quand on voit l'actualité d'aujourd'hui, avec l'affaire dite "clearstream", difficile de ne pas voir la guerre des gangs qu'a pu représenter le processus d'investiture à droite (le vrai, pas le malheureux épisode du 15 janvier). Un processus fait de combat à mort entre charognards dénués de scrupules.
Le ministère de l'intérieur pour sarkozy, et le non-soutien pour chirac, étaient pour chacun des armes de dissuasion. Il est permis de penser que c'est uniquement la méfiance qui a fait que sarkozy s'est assuré que le désarmement simultané le soit par le biais d'une allocution préenregistrée, pour éviter toute surprise...
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Le ministère des bonnes nouvelles
Nicolas a semble-t-il, ce lundi, négocié avec Chirac une petite mise en scène pour sa démission si tardive. La course de lenteur entre la démission du ministre et le soutien du président aurait dû intriguer. Les explications machiavéliques ne manquent pas. On peut se laisser aller à penser, par exemple, qu'il s'agit d'épargner l'indignité des humiliations judiciaires en échange du maintien du black-out sur les vraies statistiques de l'intérieur. Ce faisant, Sarkozy poursuit son inventaire paradoxal du chiraquisme, entre "héritation" des vices et rupture avec les vertus, une continuation des petits arrangements pour mieux rompre avec les restes de gaullisme.
En tous cas, cette démission posera nécessairement la question du bilan, qui va à coup sûr être l'objet d'une intense bataille de chiffres. Les bataillons de colporteurs UMP se tiennent prêts à déverser sur les ondes les statistiques aux petits oignons mitonnées dans les cuisines du chef. Il faut donc que les citoyens tiennent le choc de l'intoxication massive. Espérons que ceux qui à gauche sont censés apporter la contradiction daigneront le faire. A défaut on pourra se reporter au travail de Louis Marie Horeau et Sebastian Roché, le journaliste du canard et le criminologue qui monte, ainsi qu'au livre de Serge Portelli, vice-président au tribunal de Paris, qui a été karchérisé mais qui est accessible sur Betapolitique.
Le premier argument sarkozyste est la baisse du chiffre global de la délinquance. Un fourre-tout dans lequel les atteintes aux biens représentent les trois quarts du chiffre. Mécaniquement, ce chiffre suit donc celui des vols, qui ont drastiquement chuté depuis 2002, sans que les atteintes aux personnes ne baissent, au contraire. On pourrait croire que cette baisse des vols est un grand succès, sauf que cette baisse est équivalente voire supérieure dans les autres pays européens (le Canard du 17 janvier), car en réalité ce sont les technologies de sécurité qui ont pris le pas sur celles des voleurs, que ce soit par la vidéosurveillance ou les systèmes antivols sur les véhicules. Voilà d'où vient ce premier chiffre, par ailleurs entaché par l'augmentation significative des indices d'erreurs des statistiques policières depuis 2003 (le karcher est encore passé par là).
Le second argument consiste à expliquer l'augmentation des violences (16% en 5 ans) par celle des violences conjugales. Un contre-feu employé, déjà, par Daniel Vaillant en 2002, et que les interviewers laissent passer sans broncher. Non seulement un ministre de l'intérieur ne devrait pas se satisfaire de son efficacité zéro en la matière, mais cela n'explique absolument pas l'augmentation des violences: "Les violences entre conjoints, pour l’année 2004, se montent à 34 848 violences non mortelles et 162 violences mortelles, soit 10,3% seulement des 339 882 atteintes aux personnes recensée. Or ces chiffres n’ont pas varié par rapport à 2003 où l’on comptait 34 721 violences non mortelles et 180 violences mortelles. Il ne s’agit donc pas de la moitié des atteintes aux personnes et il n’y a pas eu d’augmentation des plaintes." (Serge Portelli, Ruptures).
Ultime étape de la mystification: la défausse. Les juges seraient laxistes, en particulier avec les mineurs. Assertions appuyées en septembre dernier par un sondage bidonné (IFOP+LCI+Figaro = Parisot+Bouygues+Dassault) et la fuite d'une note dans Le Monde. L'objectif de la fuite était, comme le sondage, de cautionner l'ingérence du ministre dans le travail d'un tribunal (celui de Bobigny). Manque de bol, les trois quarts de la note stigmatisaient la baisse des effectifs de police dans le 93 et accusaient la politique sarkozienne. Qu'importe, il fallait persuader les français que les violences, c'était la faute aux mineurs et à leurs juges. Le problème est que quand on regarde les chiffres on s'aperçoit que la délinquance des mineurs n'a pas plus augmenté que celle des majeurs, que pourtant leur taux d'incarcération augmente, bien que cela maximise leur probabilité de récidive. En réalité Sarkozy remplace la prévention par la répression, la sécurisation par l’interpellation. Il faut reconnaître qu'il en assume les conséquences en termes de surpopulation carcérale: "Les critiques du système américain dénoncent la surpopulation carcérale. Je n'ai jamais compris la pertinence de cet argument car, après tout, il vaut mieux voir les délinquants en prison que dans la rue! Nicolas Sarkozy, Libre (sic)".
Finalement, le seul laxisme acceptable pour Sarkozy, c'est celui envers le délinquant le plus célèbre, Chirac, envers l'initié le plus étourdi, Lagardère, et bien sûr envers le maire le plus doué en affaires, lui-même. Gageons que, une fois que Nicolas aura perdu les élections, le très distrait parquet de Nanterre saura rejeter son excuse de minorité... électorale.