16 janvier 2009
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Néanmoins on sent bien au long des discussions avec les uns et les autres que le processus entraine à avancer des arguments auxquels on peut à la réfexion renoncer, au moins dans un premier temps. Certes, il s'agit souvent dans ces cas d'aspects périphériques, mais la complexité est tellement grande que, peut-être, c'est en introduisant de minuscules degrés de liberté dans les têtes partout où c'est possible, y compris en France, que l'on peut progressivement dénouer l'étreinte si puissament enserrée sur ce petit bout de terre... ceinte.
On osera quelques exemples, bien que le niveau de détail et de précautions forcément insuffisants rendent la chose assez périlleuse:
"Etat Juif" et exception historique à la laïcité
Pour un esprit laïc français, le caractère juif de l'Etat d'Israel est difficile à appréhender, et est souvent à l'origine d'une défiance de principe. Mais ce point de blocage pourrait être levé dans ces esprit s'il était remis dans sa dimension historique:
D'une part, la Shoah singularise malgré tout, historiquement, les juifs, et fonde largement le principe d'un Etat juif. Cette singularité forme une exception du point de vue laïc, et celui-ci doit l'accepter s'il n'est pas dogmatique.
D'autre part, ce caractère n'est pas une donnée pour l'éternité: il fait débat, même minoritairement, en Israel. La laicité en israel peut très bien progresser, mais sera plus une conséquence de l'évolution géopolitique qu'un facteur de cette évolution. En particulier, on peut imaginer qu'avec l'émergence d'un Etat palestinien viable, vivable, et pourquoi pas prospère, la donnée démographique et confessionnelle implicite à cette question (la question de la "majorité juive" et d'une minorité musulmane croissante) pourrait bien se redistribuer sur deux Etats et détendre les crispations.
La démocratie tolérante et moderne contre les fachos intégristes archaiques
On reconnait légitimement en Israel une société démocratique et tolérante, de progrès. Mais réduire le problème à "démocrates contre fachos", et utiliser l'effet rhétorique consistant à identifier le contradicteur pro-palestinien à un soutien du Hamas et toujours se limiter au thème du terrorisme, c'est s'inscrire dans le processus de blocage. C'est aussi endosser la thèse du choc des civilisations.
Cette réduction est par nature aveugle à la complexité, elle est aussi contestable dans son argument:
- On accuse le hamas de jouer sur la martyrologie, mais l'inspiration initiale est-elle authentiquement islamique? Les chrétiens n'ont ils pas été les premiers à systématiser le martyr volontaire, ainsi que l'iconographie idoine? On voit que l'islam n'a pas le privilège de l'instrumentalisation politique du martyr...
- On se fourvoie aussi en décontextualisant et déshistoricisant certaines références, notamment dans les écrits de l'Islam. Si on suit la logique qui inspire certains contempteurs islamophobes, ne devons-nous pas, nous français, nous rappeler que nous sommes aussi le peuple qui braille à chaque occasion "qu'un sang impur abreuve nos sillons"? On aura raison de rappeler nos références historiques, mais il faut aussi le faire pour celles des autres.
Enfin, il serait bon que nous français fassions preuve de quelque pudeur. Notre passé colonial ne parle pas pour nous, et nous avons dans notre histoire une guerre d'Algérie qui par certains aspects montre que la soi-disante "lutte contre les terroristes" (même si ces terroristes ont existé) mène rapidement au terrorisme d'Etat.
Quant à l'efficacité de la posture, on a jamais vu que ce type d'alternative, dans la lignée du "pour ou contre le FLN" ou du "pour ou contre Saddam Hussein", fut si fertile en scénarios de sortie de crise.
Donc oui à la prise en compte de la dimension fanatique de certains acteurs, non à la réduction à ce seul aspect, qui ne peut non plus servir de caution au bellicisme.
Prison à ciel ouvert et exigences non-exigibles
A la légitimité du Hamas comme parti désigné par les urnes, certains** objectent la "misère et l'illetrisme" qui ont présidé au scrutin, pour le contester. Le contresens est flagrant. Tous ceux qui ont mis les pieds à Gaza, même bien avant le conflit ouvert actuel, ont décrit ce territoire comme une prison à ciel ouvert. Or, une prison n'est pas l'école de la paix mais de la violence. Les doctrinaires néoconservateurs se refusent à voir les faits, tant dans les conséquences de leurs politiques intérieure qu'extérieure: ils produisent ce qu'ils prétendent combattre.
Cette idéologie doit être radicalement combattue sans pour autant nier l'objet qu'elle prétend traiter: l'insécurité, le terrorisme. Il faut constater le terrorisme, et les terroristes, sans en admettre le caractère immuable, implicite dans la pensée néoconservatrice: il faut au contraire poser son évolution comme objectif, et la prise de contact progressive comme méthode. L'OLP en a fait la preuve et Rabin l'a théorisé: combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de négociations, et négocier comme s'il n'y avait pas de terrorisme.
Il y a donc quelque obscénité à s'étonner de l'émergence de "foyers de guerre et d'intégrisme"** quand toutes les conditions ont été créées pour. C'est donc aussi ces conditions d'émergence qu'il faut traiter: lutter contre la "misère et l'illetrisme" plutôt que contre ses conséquences.
Il y a aussi quelque obscénité à avancer sur le terrain des mauvaises surprises électorales quand le fait d'être président élu n'aura guère valu à Arafat tellement plus de considération que le Hamas. On voit que l'idéal démocratique est desservi quand cet idéal est posé en préalable: ce préalable implicite des prétendus amis de la démocratie interdit en réalité la mutation démocratique.
Mais on dit que des contacts, même indirects, ont eu lieu entre émissaires israeliens et du Hamas, avant les combats: peut-être y a-t-il dans chaque camp des bonnes volontés minoritaires qui pourraient dans l'avenir se poser en alternative aux belligérants actuels.
Compassion et réflexion, le tort de donner raison aux faibles et le refus de la donnée sociale
L'image de la misère et des massacres gêne. Pour accréditer l'idée d'une pensée vraiment sereine et distanciée, on évoque donc la nécessaire compassion, mais pour mieux relativiser le drame et adopter la position "courageuse" selon laquelle le mal est nécessaire. Il y a une part de vérité dans la posture, tant les images de la guerre saisissent et conduisent parfois à ne plus y voir clair. Mais soupeser le vocabulaire de l'horreur tout en se plaçant tranquillement en spectateur est un exercice un peu malvenu. C'est la difficulté et le paradoxe à gérer: vouloir la paix tout en ne minimisant pas la guerre, sachant que la simple description du massacre peut inciter à la haine, mais que l'omission du drame incite tout aussi bien à la haine.
Cette guerre prépare donc évidemment la prochaine, elle est inutile.
Si un cessez-le-feu intervient, la seule chance de sortir du processus de guerre est de donner la priorité à l'aide civile, en proportion égale à l'effort militaire. Cette leçon n'a été retenue ni en Palestine, ni en Irak, ni en Afghanistan. C'est pourtant un peu celle que les occidentaux devraient connaitre le mieux, ayant expérimenté les conséquences politiques du comportement vexatoire des "vainqueurs" d'après 14-18, qui a largement préparé la seconde guerre (on rappelle d'ailleurs à l'occasion de la crise financière actuelle que le poids des "réparations" a aggravé en Allemagne la crise des années 30), puis connu les effets des plans d'aide à l'Allemagne et au Japon après 45, qui ont au contraire préparé la paix.
Ce n'est pas faire deux poids deux mesures que de dire qu'Israel a plus de responsabilités en tant que puissance archi-dominante dans la région. Ce devrait être son rôle que de soutenir, voire porter pleinement un plan de reconstruction, des écoles, des hopitaux, plutôt que des colonies.
Parmi les exemples de l'aveuglement dans la relativisation, contre-productive, du drame, on trouve le pauvre BHL: "Et quant au fameux blocus intégral, enfin, imposé à un peuple affamé, manquant de tout et précipité dans une crise humanitaire sans précédent (sic), ce n’est, là non plus, factuellement pas exact : les convois humanitaires n’ont jamais cessé de passer, jusqu’au début de l’offensive terrestre, au point de passage Kerem Shalom ; pour la seule journée du 2 janvier, ce sont 90 camions de vivres et de médicaments qui ont pu, selon le New York Times , entrer dans le territoire"
Bernard devrait s'aviser que si cette aide existe effectivement, elle n'est qu'une aide de subsistance, consistant à livrer le fioul nécessaire au maintien de la production électrique, le gaz, et moins que le nécessaire en vivres et médicaments: elle n'a aucunement interdit la "misère" justement admise par Val mais pour fonder un mauvais raisonnement**.
Aux outrances consubstancielles de la guerre, des outrances de vocabulaire inutiles
La guerre n'est pas propre, mais les militaires israeliens ne sont pas des criminels.
D'un côté, on nous explique que l'on fait preuve de "retenue", on relaie la communication de Tsahal, qui se perdrait en précautions à chaque coup de feu ou bombe larguée, on "apprend" qu'on téléphone aux civils d'un quartier avant son bombardement, qu'on localise précisément chaque cible avec des moyens techniques admirables. Certes, une guerre "sale" et aveugle à la Saddam Hussein ferait encore plus de morts, mais la guerre propre n'existe pas, la propagande militaire est illusion, et on a jamais vu des armées d'enfants de choeur, ni une milice choisir de l'affronter dans la plaine et en rang serrés alors qu'elle se bat chez elle.
De l'autre côté, on parle de génocide voire de nazisme. Tsahal est une armée certes, mais suffisament sale comme ça en tant que telle pour ne pas avoir à l'assimiler aux nazis. Il serait utile de se retenir de verser ces mots à la fois faux et trop lourds pour ne pas peser à l'avenir.
En réalité, la responsabilité des morts civiles n'est pas celle des militaires, mais des politiques: les morts de cette guerre sont la conséquence de la décision initiale de son déclenchement, et ce déclenchement est la conséquence de leur indécision quant aux territoires concernés.
Rusticité et incurie politique derrière l'illusion de la retenue et de la modernité militaire
Tout se passe comme si l'excellence militaire de leur pays amenait les responsables politiques israeliens à ne pas assumer pleinement leur responsabilités. Dès lors que la solution militaire est une option dont les pertes pour leur pays sont à peu près garanties comme relativement faibles, ils y ont recours sans réticences excessives. Reste à savoir quelle est la part de l'auto-intoxication dans la prétendue "propreté" de leur armée.
Pendant longtemps, l'objectif non-officiel du "grand israel" inspirait la stratégie, et était une des principales sources de la perpétuation du conflit. Cet objectif a été abandonné de manière assez nette par Barak puis Sharon. Depuis, l'absence de doctrine claire et le flottement politique ont favorisé le pourrissement. Et le Hamas n'a pas peu contribué à rendre le conflit inévitable, à tel point que l'incurie de l'exécutif israelien parait presque seconde.
Les accusations infamantes contre la politique israelienne sont contre-productives, car en réalité elles escamotent ses carences réelles qui, elles, pourraient être entendues et corrigées. Ce qui devrait être stigmatisé n'est pas une ampleur génocidaire attribuée au massacre, ni une intention fallacieusement prêtée de détruire un peuple: ce qui devrait être durement dénoncé est la manière qu'a Israel de prétendre "communiquer" avec un peuple par les bombes, fussent-elles le moins meurtrières possibles.
Plutot que de parler au hamas, Israel "envoie des messages", ces messages étant blocus et bombes: non seulement le principe en lui meme est criminel (sans etre génocidaire), mais aussi cette forme de désinvolture traduit et diffuse l'idée un peu déshumanisée que se font les responsables israeliens du peuple palestinien. Cette impression est assez bien traduite ici par Glucksman, malgré lui, qui ose un "Il n'est pas disproportionné de vouloir survivre", ou par le CRIF qui a cru bon de ne manifester que pour les victimes israéliennes. Si les uns pouvaient essayer d'éviter de mépriser les morts des autres, dans un sens comme dans un autre, cela éviterait d'entretenir la haine.
La neutralité et l'équilibre, en soi, ne garantissent ni la raison ni l'apaisement.
On aura pas eu, ici, le souci de faire un décompte parfaitement à égalité entre les points implicitement adressés aux uns et aux autres. Cette contrainte que s'imposent la plupart de ceux qui n'ont pas pris parti est une gageure, et est en plus inutile. On peut être rangé par les uns dans le camp des autres, soit, mais on n'est pas mieux écouté quand ni les uns ni les autres ne parviennent à vous ranger. C'est que pour parvenir à une parfaite neutralité, la plupart du temps on ne dit rien de significatif. Ne rien dire n'apaise personne, et parler c'est souvent se voir immédiatement pris à partie. Il n'y a pas de posture équitable, et il n'y a pas d'issue à rechercher dans un ajustage de la balance. Et quand bien même on parviendrait par miracle à un strict équilibre des torts et des bons points, on serait à coup sûr à côté de la vérité, qui n'a aucune raison de se situer dans cet équilibre.
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* A deadlock is a situation wherein two or more competing actions are waiting for the other to finish, and thus neither ever does.
** "le Hamas a pris le pouvoir au terme d’élections qu’on s’entête à dire démocratiques, alors que la misère et l’illettrisme ont permis toutes les manipulations. Si, chaque fois qu’Israël se retire de colonies ou de territoires conquis en 1967, des foyers de guerre et d’intégrisme s’installent, comment veut-on que des élections démocratiques portent au pouvoir des gouvernements israéliens qui prônent la continuation des retraits ?" edito de P. Val