Les commentateurs sont, pour une fois, assez aimables quand ils accréditent l'idée que les socialistes subissent leur propre cacophonie. En réalité ils l'entretiennent. Leurs prises de position sont souvent dictées par des considérations tactiques, pour se construire une originalité, ou par la conjoncture politique. La cacophonie a de surcroit une dimension dans la durée: l'inconstance de maints responsables participe de l'impression quelque peu dissonnante de la partition. Pour Julien Dray, le PS a toujours connu une certaine diversité d'idée, et cette liberté de débat est quand même plus intéressante que quand il était chez les trotskistes. Le problème, c'est que la présidentialisation induit qu'un parti se dote d'un leader qui "corresponde au profil que représente cette présidentialisation". "Il y a donc une phase de transition, qui est longue, trop longue", parce que "tout le calendrier a été conçu pour éliminer Ségolène Royal". "D'où une difficulté pou le PS à être entendu dans le pays parce que cette compétition est permanente". "Ce n'est pas obligatoire que cela dure", et pour y remédier Julien a beaucoup d'idées sur ce que doit être le travail d'équipe et la discipline, construite non pas sur l'autoritarisme mais sur une légitimité qui pour chacun doit s'adosser à l'activité militante dont il fait preuve. Il se fait fort, par son expérience en la matière, à créer les conditions de ce travail collectif, à tirer le meilleur de chacun. Ce point est repris un peu plus tard pour creuser le sujet du travail sur la doctrine.
Interrogé sur la question des alliances, notamment au travers de l'idée, développée en fin de ce billet précédent, que l'on pourrait défendre une stratégie d'alliance qui dissocie le plan local et le plan national, en particulier avec le modem, Julien Dray balaie l'argument: un parti se doit d'avoir une stratégie, et on doit faire avec Bayrou, "Bayrou il est là". (JD a quand même fait un détour historique par la SFIO, puis l'union de la gauche, et les difficultés de Mitterrand avec Deferre sur ce point, pour en arriver là). On objecte que Bayrou pourrait être au PS ce que Mitterrand a été au PC: une personnalité qui s'est construite par sa candidature au présidentielles, qui fonde un parti dont il est le candidat naturel, et qui parvient à progressivement marginaliser ce qui a longtemps été le premier parti de gauche. "La seule chose qui pourrait être envisageable un jour c'est une OPA de François Bayrou sur le partis socialiste. Imagnons, dans la spéculation intellectuelle, que Bayrou, finalement, au terme d'une marche longue, en arrive à dire, il n'y a pas de dirigeant au ps, bon... C'est un peu ce que Mitterrand a fait à Epinay. Imaginons que François Bayrou devienne une sorte de 1er secretaire du PS -allons jusqu'au bout de la spéculation-, il arriverait à Bayrou ce qui est arrivé à Mitterrand, c'est à dire qu'à un moment donné la force de l'appareil politique vous oblige à bouger." On a là exposé assez explicitement des choses qui bousculent un peu, mais aussi qui détonnent avec le "pas de leçon de gauchisme à recevoir" qui suit.
Le coupable dont on parlait dans la note précédente était Benoit Hamon, et l'objet de l'ire l'interview dans lequel il a notamment commis ceci: "Ségolène Royal vient de reprendre notre proposition d’un pôle financier public (etc)". Quand Vogelsong, qui s'est préalablement présenté comme pro-Hamon, a commencé à parler de pôle financier, Dray a bondi. Un des beaux moments de l'entretien. "Moi j'adore ces jeunes de 40 ans qui viennent nous donner des leçons à moi ou à d'autres, mais le problème c'est que moi j'ai pas été membre de cabinet ministériel de 97 à 2002. Donc je n'ai à aucun moment soutenu l'action de Lionel Jospin". "J'ai voté contre le pacte d'Amsterdam". "J'ai été discipliné comme député, mais j'ai voté contre l'orientation défendue par François Hollande dans tous les congrès". "Je suis remonté parce que j'ai pas aimé l'interview de ce matin (de Hamon)". Si Ségolène a autant marqué sa distance à la législature Jospin, on trouve peut être ici un élément d'explication... Dans la série, c'est Mélenchon (dirigeant de la "Gauche Socialiste" avec Dray), qui en a le plus pris dans les dents: "Moi je regarde ça avec amitié et sympathie, bon, voilà, on entre nous. Mélenchon! mais c’est une caricature Mélenchon! Mélenchon en 2000, quand les jeunes de la Gauche Socialiste disent "ça va pas", commencent à dire "il faut qu’on bouge", Mélenchon me dit la chose suivante, en me prenant en tête à tête: "si il y a le moindre mouvement social, je quitte la Gauche Socialiste et je m‘en vais". "Mélenchon au congrès de Grenoble du PS, je propose que toute la gauche soit unie, et si on avait tous été unis on aurait fait plus de 30% au congrès. Il vient me voir il me dit "Jospin m’a dit qu’il ne fallait pas qu’on fasse alliance avec Emmanuelli, et donc on ne peut pas être ensemble"." "Mélenchon quand il est ministre, c’est le plus grand des fayots au conseil des ministres. Il a jamais ouvert la g.. la voix, sur toutes les questions que j’ai évoquées, la fiscalité sur les stock options, la question de la réforme de l’université, la question de la précarité, la question des salaires, la question de l’insécurité, trouvez-les les compte-rendus du conseil des ministres où on voit Mélenchon prendre ses responsabilités, aller à la bataille dire "je suis pas d’accord. Jamais. Et puis quand on a perdu alors Mélenchon c’est devenu le plus grand des gauchistes. Mais quelle est la credibilité? Moi j’ai subi la tutelle de Mélenchon, je les ai pris sur moi ces compromis". "Non, il faut pas me la faire. J’aime bien Benoit mais quand je vois derrière les vieux crabes…"
Il y aurait beaucoup à commenter sur le fond de ces propos, mais le but de cette note est d'en retranscrire des passages significatifs. De cet ensemble surgit une évidence que je n'avais pas saisi avec autant de netteté auparavant: Julien Dray, mitterrandiste voire mitterrandolâtre (c'est très net à certains autres passages de l'entretien), a été "barré" pendant la période Jospin. Il rappelle à un moment qu'il a été jugé "par les commentateurs" comme un des meilleurs députés de la législature 93-97 (la vantardise fait partie du personnage), et que malgré ça Jospin l'a écarté "parce qu'il ne l'aimait pas". Une rancoeur s'est accumulée, envers la "jospinie" et aussi envers ceux qui avaient su être jospino-compatibles. Il a cru trouver une issue avec l'irruption de Ségolène, et s'est lancé dans la bataille à ses cotés peut-être aussi pour prendre une revanche. C'est pour ça que j'ai, un peu fallacieusement, utilisé en titre cet extrait: il me semble être très explicatif de la trajectoire de Julien Dray et des clivages actuels au PS.
Bonsoir, un petit mot pour vous dire que j’adore votre blog, alors je ne me prive pas ! Merci pour tout ce travail que cela représente et pour tout le plaisir que j’y trouve .
@ Dagrouikj'ai écrit sous la dictée de Dray via ton son!bien sur il a dit qu'il etait discipliné à l'AN, ça je l'ai aussi repris, mais c'était clairement un opposant de l'intérieur (selon lui)