La séquence qui a suivi le 22 avril a été en tous points positive. Ségolène Royal a su prendre ses responsabilités, se souvenir de son "devoir de victoire". Le geste en direction du centre était nécessaire même s'il était délicat, et elle l'a réussi. Sur les trois thèmes qui ont dominé la campagne de Bayrou, la rénovation démocratique, les médias, et la dette, il y a des compatibilités évidentes, même pour le dernier.
Les attitudes respectives, envers le centre, de Royal et sarkozy sont significatives quant à leur esprit démocratique assez distincts. Ségolène Royal a voulu parler à l'électorat de Bayrou, mais pas sans parler à Bayrou, illustrant une certaine correction dans le comportement, assez nouvelle en politique. Son dialogue avec Bayrou a contrasté avec l'immaturité politique habituelle (celle qui consiste à ne pas "bavasser"). L'attention s'est donc portée sur cet échange, exemplaire d'une démarche rénovée, adulte et moderne, qui a tranché avec l'hyper-personnalisation de la fin de campagne de sarkozy (voir chez Dan, de voteragauche, le clivage représentation/incarnation). Cette discussion a, du coup, marginalisé sarkozy, le mettant en sourdine médiatique -une bonne chose pour notre hygiène mentale-, et a ringardisé le forcing sarkozyste sur les élus UDF. Un forcing qui explique que Hervé Morin, qui présentait Bayrou comme le "meilleur rempart" à sarkozy, finisse piteusement par voter pour le même sarkozy. C'est d'ailleurs parce que sarkozy n'a pas pu s'empêcher de mettre la pression sur Bayrou que celui-ci s'est braqué: il n'a certes pas donné de consigne de vote (il savait que ses élus ne pourraient pas la suivre), mais il l'a attaqué avec une violence assez sidérante. Texto, chez Aphatie (écouter ou voir): "Nicolas Sarkozy verrouille l'information". Le mot est lâché, et il se justifie.
Une indication sur ce que seraient les médias sous sarkozy, c'est la récente prise de position de Séguéla en sa faveur. Rappelons d'abord que Séguéla est aussi virtuose qu'eric besson dans le retournement de veste: bolloré, son nouveau suzerain, est passé du statut de "vautour" "charognard" à celui d'"oiseau rare", dans une affaire où l'ex ami de 30 ans Alain Cayzac a laissé des plumes, mais où son copain "fils de pub" a trouvé son compte. De quoi douter de l'amour soudain déclaré par Séguéla: "le moment est venu de voter non pas pour un parti mais pour un homme". En prouvant donc une nouvelle fois la souplesse de son échine, Séguéla montre surtout qu'il a compris qu'avec sarkozy, il y aurait beaucoup de boulot pour les propagandistes de son accabit. Un gros gâteau dont bolloré ne souhaite pas se priver, ce qui explique cette nouvelle allégeance. Après les mitterrandiens Tapie et Hanin, ça décante donc, mais on ne déchante pas vraiment.
C'est en se promenant sur wikipedia après être passé sur la bio de Séguéla, étrangement mince, qu'en cherchant les pedigrees des patrons de l'info on peut tomber sur celui de l'AFP, Pierre Louette. Cet ex-membre du cabinet Balladur de 93 à 95 a beaucoup travaillé les médias en compagnie de sarkozy, qui était chargé de la communication à l'époque. Ce qui n'a aucun lien évidemment avec certains biais de dépêches AFP constatés par exemple ici. En tous cas, on y apprend que l'heureux homme a été gratifié, le 8 avril, d'une belle légion d'honneur.
Séguéla toujours: "J'ai eu Nicolas Sarkozy au téléphone. Ca m'a beaucoup troublé". Nico aime les coups de fil. Surtout chez les directeurs de rédaction. Christophe Barbier, par exemple, tient à signaler la fréquence des coups de fil de sarkozy (ici et ici). Les couvertures de l'Express, dans lesquelles sarkozy se pavane et qui couvrent régulièrement tous les kiosques de France, sont là pour nous laisser deviner avec quelle extrême urbanité il doit lui répondre. M. Barbier pense certainement garder sa totale distance d'analyse et se pique probablement d'être indemne professionnellement de cet "embedding" dont lui fait bénéficier le candidat. Il n'est pas, lui, "troublé", tant mieux. Mais ces petits messages, dénués de toute arrière pensée, Nicolas en a aussi pour les caricaturistes, qu'il déclare vouloir protéger (sauf exception). Le trait de Plantu ne s'en est pas "troublé" pour autant, juste chargé en mouches.
Alors, nicolas fustige les "procès staliniens" intentés par Bayrou, mais dans sa grande mansuétude, il ne "lui en veux pas". C'est en quelque sorte le verrouillage à visage humain, un retour à la douce époque d'avant 68. Nous verrons peut-être Arlette Chabot paraphraser Jacqueline Baudrier, la directrice de l’information de l’ORTF: "mais cher monsieur, si vous n’êtes pas sarkozyste, comment ferez-vous pour être objectif ?" (fm2007).
nicolas estime qu'il n'y a "pas de problème de concentration dans la presse", et le journalisme mondain approuve. De tous les grands hebdos nationaux, les seuls qui donnent des éléments d'information et des couvertures désagréables pour sarkozy sont aussi les seuls qui soient réellement indépendants, mais c'est une coincidence.
Les résultats de sarkozy n'ont guère été questionnés autrement qu'à audience très réduite. Si d'aventure sarkozy était élu, et si par le plus grand des hasards son action magique ne donnait pas les résultats espérés, les français en seront-ils informés?
sarkozy, qui se prétend candidat de la majorité silencieuse, sera-t-il le président de la minorité baillonnée?
Bayrou a beaucoup parlé de la dette. Même si sa principale proposition ne consiste qu'à faire une loi anti-déficit, ses électeurs sont sensibles à ce thème. Or il existe une analyse de gauche, qui peut leur confirmer que celle-ci est pleinement consciente de ce problème. Voilà peut-être quelques points:
* Etre pour l'intervention de l'Etat, c'est être contre la dette, la dette entrave l'action de l'Etat.
* La dette est utile à la droite -qui l'a accrue- car elle fournit l'argument pour désengager l'Etat, pour privatiser l'énergie par exemple, ce qui n'équilibre aucunement le budget de fonctionnement. (voir friedman/reagan)
* La dette permet une redistribution à l'envers: c'est tout le monde, consommateurs, travailleurs, entreprises, qui paie pour financer l'épargne de ceux qui détiennent des obligations d'Etat.
* Lutter contre la dette doit se faire avec une vision dynamique, donc l'activité doit devenir le critère d'arbitrage numéro 1.
* Dans ce contexte, le maintien de l'enveloppe des prélèvements conditionne la crédibilité des projets.
* Les baisses d'impots et de charges, idéologiques ou démagogiques, doivent être supprimées au profit d'une prime à l'activité ajoutée.
Si cela est entendu par les centristes, cela pourrait contribuer à la victoire.
FM-2007, encore lui, attire notre attention sur les risques d'entourloupes lors du débat de ce soir. Il faudra être attentif. Il sera intéressant de mesurer le temps passé sur un sujet comme l'immigration par exemple. Intéressant de comparer au temps passé sur le thème des médias, qui a été intelligemment imposé dans l'entre-deux tours avec la complicité de Bayrou. Il faudra être vigilant à regarder combien de fois, respectivement, Royal et sarkozy auront eu la possibilité de parler en dernier sur les différents sujets.